« Comment raconte-t-on – quand on ne maitrise pas les mots? » – György Kurtág
L’Homme est une fleur est une rencontre entre la musique de l’un des compositeurs prééminents de ces soixante-dix dernières années, et le monde du théâtre physique et de la pantomime burlesque.
Le projet s’inspire directement de l’homme qu’est György Kurtág et de sa musique, sans être pour autant une pièce biographique. Elle est constituée de pièces pour quatuors à cordes, une forme centrale dans l’œuvre de Kurtág.
Cette musique – avec ses déplacements rapides de sentiments; ses ouvertures soudaines à des visions poétiques ; ses chutes violentes ; ses retours maladroits au banal ; ses blagues et ses jeux musicaux – offre outre son côté dramatique, un réel potentiel ludique. Elle s’est donc naturellement présentée comme notre premier partenaire de jeu, et la pièce s’est alors révélée comme un quintette, entre les quatre musiciens du quatuor à cordes et le comédien sur scène. La présence du Quatuor sur scène est apparue comme une évidence et la musique de Kurtág permet de créer une symbiose entre les cinq interprètes, qui transmettent à leur tour une émotion commune au public.
Pour faire écho à cette multitude d’expériences que propose la musique de Kurtág, nous avons imaginé un personnage très dessiné. Un personnage rythmique dans une mise en scène qui met le corps du comédien au premier plan. Une esthétique essentialisée, mais précise, qui met en valeur le personnage, ses actions, et ce qu’il vit intérieurement. Afin de ne voir que lui, n’entendre que la musique. Un grossissement du réel, autour de l’une des grandes souffrances de la condition humaine – la solitude.
Cette combinaison de la musique, la stylisation et l’absence de texte nous a très vite fait penser aux travaux de Buster Keaton et de Charlie Chaplin, qui font parties de la constellation de nos inspirations. Ces grands clowns du cinéma muet ont incarné des personnages, qui, bien que démunis, désespérés, perdus et seuls dans un monde souvent hostile, nous font rire et nous émeuvent aux larmes. C’est une poésie du quotidien où le ressort tragique du corps devient comique, et où la mécanique comique est extrêmement tragique. Cette influence a été importante pour nous, car nous avons eu la sensation que ces éléments ludiques de la musique de Kurtág, ont justement trouvé leur expression à travers ces éclairs de slapstick et ces fulgurances burlesques.
Mais c’est aussi un rappel des personnages et des thématiques des œuvres de Samuel Beckett : de Clov et de Hamm, les personnages de Fin de partie, ou encore d’Estragon et de Vladimir, d’En attendant Godot. Le passage interminable du temps, et l’attente de quelqu’un ou de quelque chose – la mort ? Une fin ?
Kurtág a, par ailleurs, toujours eu une forte affinité pour les œuvres de Beckett (pour qui Keaton et Chaplin étaient justement de profondes influences). Cela a commencé quand il a assisté à une représentation de Fin de Partie à Paris en 1957. Certaines des pièces fondamentales de Kurtág mettent en musique des textes de Beckett, et il eut régulièrement l’inspiration d’écrire de la musique pour des pièces théâtrales de l’auteur. Finalement, Kurtág a créé sa propre Fin de Partie pour la scène lyrique, dont la première a été donnée en 2018. Le projet de toute une vie.
Avec L’Homme est une fleur, nous souhaitons nous inscrire dans cet héritage, à la rencontre de ces deux lignées – l’une dramatique, l’autre musicale.