Ce sepolcro, un joyau du genre, représenté à la Hofkapelle de Vienne le soir du Vendredi Saint 1706 sous le règne de Joseph 1er, décrit la joute oratoire qui oppose le Démon, à l’origine du péché originel et qui se réjouit de la mort du Christ, et la Mort elle-même, qui s’approprie à son tour l’origine de la mort du rédempteur qui se vantait, nous dit l’argument de l’oratorio, « la vie même ». Entretemps, au beau milieu de cette dispute rhétorique, intervient l’allégorie de la Nature Humaine qui pleure amèrement la mort de son Sauveur, mais est à son tour injurié et menacé par le Démon pour ne pas avoir été racheté de ses péchés. C’est alors qu’intervient la Foi qui parvient à confondre la maligne fausseté du Démon qui continue à ne pas croire à la valeur de la rédemption. L’aporie du débat semble trouver une issue avec l’intervention de l’Âme d’Adam qui, comme Père de tous les hommes, console la Nature Humaine de ses tourments, en lui disant qu’il avait été extrait par le Christ Rédempteur avec tous les hommes justes, du cœur d’Adam où non seulement s’était niché l’âme du Christ pour pouvoir en libérer tant d’autres, mais qu’il s’était en outre montré aux portes de l’Enfer même pour confondre les Démons et les Damnés grâce à la pompe de son triomphe, et qu’ainsi, à la fin, au bout de trois jours, le Christ serait ressuscité, comme il l’avait promis, afin de prouver au monde que par lui la Mort serait vaincue sur le Calvaire.
On le voit, il s’agit d’une œuvre purement allégorique, comme cela était le cas dans la plupart des sepolcri représentés à Vienne. Structuré en deux parties, l’œuvre alterne des récitatifs très expressifs et des airs qui ne le sont pas moins. La dimension théâtrale et dramaturgique, amplifiée par la scénographie propre au genre, est assurée aussi bien par le texte d’une grande force poétique de Bernardoni, que par la musique splendide de Ziani, avec une orchestration essentiellement à cordes à cinq parties, dans l’ouverture en particulier, agrémentée de parties instrumentales obligées et une science raffinée du contrepoint, tandis que les airs sont, pour certaines interventions comme celles du Démon, accompagnées par les cornets, les trombones et les bassons. Le Démon, une basse caverneuse comme il se doit, chante trois airs, marqués par une véhémence « furiosa » (dès son superbe air d’entrée « Ho già vinto », véhémence amplifiée par les soli de trombone) et un duo avec la Mort (« Vil che sei non creder già »), à qui échoit l’air « Chi sul detto il Fior del campo », un irrésistible andante bercé par l’ensemble des violes à quatre parties. La fragilité de la Nature Humaine est illustrée par l’émouvant Largo, soutenu par la simple basse, « Misera Umanità » d’une expressivité à faire pleurer les pierres, interrompu par un bref récitatif, traité en arioso qui maintient la tension pathétique induite par le texte même, avant de reprendre un nouveau Largo, « Duro cor », cette fois-ci accompagné par l’ensemble des cordes (violes et violoncelles), dans un rythme ternaire aux notes longuement tenues qui rendent encore plus émouvante l’intervention du personnage allégorique écrasé par un sentiment de culpabilité. Une brève joute oratoire de vive allure oppose de nouveau la Mort et le Démon débouchant sur un duo dans une tonalité logiquement tout aussi rapide, soutenu par les bassons qui donnent une coloration commune au contraste des voix. Les beautés abondent dans ce sepolcro relativement bref, comme l’autre aria de la Nature Humaine, « Quel dolor ch’io porto in volto », avec violon solo, ou encore le Largo de la Foi, « Indarno la meta », qui parvient à atteindre un dépouillement dramatique d’une rare intensité. Les airs virtuoses ne sont pas en reste, comme celui du Démon, « Or lusinghiero, or fiero », au style concitato soutenu par un effectif opulent (violons, cornets, violes, trombones et bassons), contrastant avec l’adagio langoureux de la Nature Humaine, « Io languia, qual fior senz’onda ». Un sublime chœur réunissant tous les solistes conclut adagio ce singulier sepolcro, illustrant avec maestria la science du contrepoint du compositeur qui a su allier la rhétorique du texte avec celle du discours musical, rappelant ainsi que, sans trahir l’intelligibilité de la parole poétique, essentielle dans ces œuvres de dévotion, la musique sait aussi être éloquente.