L’Histoire de M. Suzuki

L'Histoire de M. Suzuki

Le froid vif sous mon pied –
Le peigne de ma femme morte
Y. Buson (trad. Corinne Atlan, 2002)

« L’Histoire de M. Suzuki » est une performance pour un percussionniste, qui met en jeu les aspects musicaux et scénographiques, la bande sonore, le livret (au sens littéral : un carnet d’une quinzaine de pages distribué au public) et des interactions avec le public.
Son sujet est inspiré d’une histoire vraie : celle d’un vieil homme, veuf, resté habiter chez lui après la catastrophe de Fukushima en 2011, que personne n’a pu forcer à partir d’une zone désormais totalement interdite, et qui a continué à mener sa vie sur place, seul avec son jardin et ses souvenirs.
L’histoire se révèle progressivement au public à travers les différents modes de transmission proposés, visuels, auditifs et écrits. Le public peut décider à quelle vitesse il découvre l’histoire : en fonction de ses choix, les éléments scéniques seront soit une proposition qui s’expliquera peu à peu, soit une illustration de ce qui vient d’être lu. Tout le jeu se trouve donc dans la manière dont chaque élément influence la réception de la performance, qui sera différente pour chaque auditeur-lecteur.

L’instrumentation proposée est un mélange entre des instruments de percussion et des éléments extérieurs. L’ensemble constitue un dégradé, depuis les instruments classiques (métaux, bois), vers les textures (instruments frottés, papier, feuilles), puis les éléments (eau, radio, souffle) jusqu’à la bande enregistrée, qui combine extraits de radio, sons du jardin et instruments de percussion.
Ce travail commun avec Zacarias Maia sur les textures se poursuit depuis 2020. Il doit beaucoup aux recherches des compositeurs qui nous ont précédé dans cette voie et avec qui nous avons pu étudier, notamment Hanna Hartmann, Thomas Meadowcroft et surtout Peter Ablinger.

À ce travail sur le son s’ajoute celui sur le geste : chaque mouvement musical implique un parcours visuel et génère donc une chorégraphie. Le jeu sur la répétition, ainsi que la possibilité de superposer les lignes musicales sur la bande, nous permet de créer un univers visuel auquel le public peut se raccrocher. L’attitude du percussionniste est donc bien celle d’un performeur : toute la première partie est jouée les yeux fermés, pour en renforcer le caractère méditatif. Ce travail visuel doit beaucoup à nos études avec Georges Aperghis, compositeur invité à Bâle en 2017, qui nous a ouvert les yeux sur l’importance de l’aspect visuel du geste musical.

L’histoire se révèle peu à peu, selon le choix de chaque auditeur-lecteur. À mesure qu’on la lit, ou qu’on l’écoute, la catastrophe se révèle dans sa dualité : à l’extérieur, la fin d’un monde avec le tsunami puis l’évacuation de 2011, mais à l’intérieur, une autre histoire se dévoile : celle d’un homme dont la vie s’est arrêtée avec la perte de sa femme en 2007.
Interactions avec le public : une performance ouverte
Le livret distribué commence par une explication sur les différents manières de s’en saisir : on peut soit le lire d’une traite, au début, soit se laisser guider par le spectacle pour le découvrir peu à peu, soit garder ses révélations pour la fin.

Une fable écologique
L’Histoire de M. Suzuki relate l’après-Fukushima, catastrophe écologique majeure. Y sont questionnés la démesure des réalisations humaines (évacuation de la zone, durée de la contamination, stockage de l’eau pendant plus de 10 ans), l’après (dans la musique et la scénographie, dénuement, très peu de matériel, aucune technologie dépassant le magnétophone ou les diapositives), la responsabilité (un vieil homme pour représenter les folies/excès du XXe siècle, la possibilité de détruire entièrement la vie sur terre, et deux enfants pour « nettoyer » l’après-catastrophe). On peut y lire le danger du nucléaire ainsi que la responsabilité face au changement climatique : les enfants devront gérer à notre place.

Compétences

Posté le

27 août 2023

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