Il y a des projets de disque qui naissent de la musique.
Et puis il y en a d’autres qui naissent de la danse !
Ce programme a pu prendre forme dans ma tête, mes doigts et mon cœur grâce à l’impulsion de la compagnie de danse Rosas, et de sa chorégraphe, Anne Teresa De Keersmaeker. Mais aussi grâce aux mouvements de toutes les danseuses et tous les danseurs qui donnent vie sur scène aux “Mystery Sonatas/for Rosa”, baignées des lumières essentielles de Minna Tiikkainen.
Certaines personnes pourront s’étonner d’entendre parler de danse et de spectacle autour d’un répertoire aussi sacré que les Sonates du Rosaire de Biber. Mais ces quinze sonates et la passacaille finale que le compositeur a dédiées à son nouvel employeur Maximilian Gandolph dès son arrivée à Salzbourg sont décidément autre chose que de la musique instrumentale d’église. Je pencherais plutôt vers la définition suivante : “amalgame de multiples phénomènes”.
Il y a tout d’abord l’esprit violonistique qui domine pratiquement tout le cycle (Biber profite de l’occasion pour montrer tous ses talents de virtuose, qui sont incroyables !). Et puis il y a le mystère présent sous de multiples facettes : j’ai l’impression, en jouant ces pièces, qu’elles sont un accompagnement à la prière, une invitation à la méditation, mais aussi une description du phénomène religieux, du point de vue de l’humain… ainsi qu’une réflexion artistique sur notre appréhension de l’alchimie de la création, testant ainsi ce qu’Anne Teresa appelle une matérialisation de l’abstraction.
Pour tout raconter, pour tout montrer mais en laissant le voile délicatement posé, pour tout ressentir et faire toucher du doigt mais en laissant chacun et chacune libre dans son interprétation du Rosaire, Biber utilise le mouvement : celui des improvisations écrites, fulgurantes, celui des harmonies, lisses ou contractées, celui du récit, du mot, du lamento, et donc celui de la danse (et ses variations).
Le mouvement est là, omniprésent, il représente le Tout : le mystère et l’intuition, car il ne comporte pas de mots, la vie, la mort, la résurrection, les marches, les rencontres, les réjouissances et les peines, et je ne peux pas jouer une seule note de cette musique sans voir un corps tourner, deux êtres se rapprocher, une poitrine s’ouvrir et s’abandonner, une main se tendre vers le ciel ou l’obscurité et faire un geste léger, aussi subtil qu’une diminution musicale.
Comme je ne suis pas écrivaine mais musicienne, je vais reprendre mon violon, et tenter, en compagnie d’Anna Fontana, Francesco Romano, Nacho Laguna, Baldo Barciela (ainsi que Fred Baldassare et Eloy Orzaiz !), de partager avec vous l’expérience ésotérique de cette rencontre avec Heinrich von Biber, Lav Crnčevič, Sophia Dinkel, Rafa Galdino, Frank Gizycki, Mariana Miranda, Laura Maria Poletti, José Paulo dos Santos, Cintia Sebők, Jacob Storer et Mamadou Wagué.
Amandine Beyer