Cantos Brujos

Cantos Brujos

Compositeur éclectique et pianiste à l’élégance rare, Jean-Marie Machado nous a habitués depuis les années quatre-vingt à ouvrir les portes du jazz moderne vers d’autres mondes musicaux. Avec son ensemble à géométrie variable Danzas, il a franchi une nouvelle étape en 2006 en produisant plusieurs œuvres qui s’inspirent de sources aussi diverses que la chanson, les musiques traditionnelles, la danse et la musique classique. Dans Cantos Brujos, ce sont toutes ces esthétiques qui se trouvent convoquées, dans une mise en abîme fascinante.

Point de départ de l’aventure, El amor brujo du compositeur espagnol Manuel de Falla, que les mélomanes français connaissent comme L’amour sorcier. Cette œuvre de 1915 a d’abord été une « gitaneria », un ballet-pantomime pour orchestre de chambre récité et chanté, avant de connaître une version pour orchestre symphonique puis une transformation en ballet. Cent ans plus tard, Jean-Marie Machado s’en empare en décidant de l’adapter sous le nom de Cantos Brujos, tout en conservant le scénario du livret rédigé par le dramaturge Gregorio Martínez Sierra. L’aboutissement est une succession de « chants sorciers », chacun étant le chapitre de ce conte fantastique : Candela, une Gitane un peu sorcière, est hantée par le fantôme de son ancien amant ; pour pouvoir aimer librement Carmelo, elle se débarrasse du spectre en demandant à une amie de le séduire…

Cet argument que n’aurait pas renié Théophile Gautier est le prétexte à une suite luxuriante de quatorze tableaux. Jean-Marie Machado a tenu à conserver l’histoire et la philosophie de l’écriture tout comme les mélodies, mais il s’est livré à un gros travail d’arrangement et de réécriture. Par exemple, l’aspect trop évident du flamenco a été atténué, et les côtés arabo-andalou et africain ont été développés. Si la partition originelle était de vingt-cinq minutes, elle se réincarne ici sous la forme d’une cérémonie d’une heure qui est parsemée de variations créatives, de préludes, d’interludes et de postludes.

Tel un coloriste peaufinant ses miniatures jusqu’à l’épure, Jean-Marie Machado a travaillé en suivant trois fils rouges. D’abord, il intègre Manuel de Falla dans sa propre composition, et à cet égard il est passionnant d’observer que les deux hommes viennent du même creuset ibérique et qu’ils partagent à un siècle d’intervalle une forte appétence pour les musiques populaires et traditionnelles. Ensuite, il fait ressortir de cette reconstruction tout un angle mystérieux, qui se traduit par des ambiances inquiétantes… Enfin, il écrit en ayant en tête la palette et la sonorité des onze musiciens de haut vol qui l’accompagnent, qu’il s’agisse des plus anciens comme le souffleur Jean-Charles Richard ou des nouveaux tel le percussionniste Zé Luis Nascimento…

Ce spectacle révèle toutes les subtilités d’une musique où la note bleue du jazz vient se mêler aux teintes rougeoyantes de thèmes impressionnistes qui évoquent parfois la musique française – Debussy, Ravel ou Poulenc qui a lui-même été influencé par De Falla… – voire parfois l’école de Vienne. On y trouve aussi les reflets du Third stream, ce « troisième courant » apparu dans les années 1950 et dans lequel des compositeurs comme Gunther Schuller et John Lewis voulaient tisser des ponts entre le jazz et la musique classique européenne. Et on pense bien sûr à Gil Evans et à sa science de l’arrangement, mise notamment au service de Miles Davis pour son album Sketches of Spain, où Manuel de Falla était déjà au programme. De multiples références qui sont autant de bonnes fées qui se sont penchées sur le berceau de Cantos Brujos, une œuvre audacieuse de Jean-Marie Machado qui restera une balise dans l’histoire des musiques d’aujourd’hui.
Pascal Bussy

La presse
« Au Café de la Danse, Jean-Marie Machado a fait entendre une époustouflante relecture de L’amour Sorcier de Manuel de Falla ».
« Tout ce disque, à l’image de cette Danza ritual del fuego, est parcouru d’une indomptable pulsion de vie, portée par un Jean-Marie Machado au sommet de son art d’arrangeur et de
compositeur.» Jean-François Mondot, Jazz Magazine

« Tout est soigné, précis, impeccable de mise en place et de flamme. Il ne s’agit pas ici de jazz à proprement parler mais tout simplement de musique, de celle qui respire sans masque, qui ne se reconnaît pas de limites, mais qui sait magnifiquement combiner les timbres, entrelacer les énoncés et finalement faire chavirer. »
Jean-Pierre Jackson, Classica

« Très belle musique, à découvrir hors de tout préjugé de style, d’idiome ou d’esthétique : cette musique n’a pas de frontières, ou plutôt elle les enjambe allègrement ! »
Xavier Prévost

Compétences

Posté le

27 août 2023

Translate