Gary Brunton et Bojan Zulfikarpasic se rencontrent à Paris en octobre 1988. Tous deux inscrits au CIM, ils multiplient les aventures musicales et jouent notamment avec Dave Liebman et Reggie Workman.
Bojan Z présente Henri Texier à Gary Brunton, qui devient son professeur. Le duo passe ses soirées à écouter du jazz dans les clubs, au Sunset-Sunside, au Duc des Lombards ou au bar l’Eustache dans le quartier des Halles. C’est là qu’ils se passionnent pour le jeu du batteur Simon Goubert.
Trente ans plus tard, Gary Brunton, déjà actif avec son grand ensemble Pee Bee, retrouve Bojan Z, un peu par hasard, à un concert de Michel Portal et croise peu de temps après Simon Goubert lors d’un concert de Franck Tortiller. L’idée de former le trio est née ici. Au printemps 2018, des répétitions autour des compositions de Gary Brunton commencent et le projet se concrétise avec la sortie, en novembre 2019, d’un premier album intitulé Night Bus – qui donnera son nom au trio – avec le soutien du producteur Paul Bessone et son label Juste une Trace.
Encouragé par la critique, Gary Brunton monte un nouveau répertoire : Second Trip, avec un soin particulier donné à l’enregistrement, en faisant de nouveau le choix de Vincent Mahey aux manettes du studio Sextan, où les musiciens sont « comme à la maison ». Un nouvel acteur au rôle primordial prend place dans ce deuxième chapitre : le très réputé François Jeanneau aux conseils artistiques (1er directeur musicale de l’ONJ, Grand prix Sacem, prix Boris Vian).
On ne présente plus François Jeanneau, ce compositeur, arrangeur, saxophoniste, l’un des pionniers du free jazz en France, dont le regard extérieur a été indispensable pour la conception de cet album. Son approche unique, pleine de sagesse, a permis au trio d’aller plus loin, à travers des changements parfois radicaux aux vues de sa créativité débordante et de par une ouverture quant aux possibilités de prises lors des enregistrements.
Aller plus loin, être ouverts, être prêts à aller dans n’importe quelle direction, telle est la voie qu’ont suivie les trois artistes pour leur nouvel album. Une intention qui accueille l’imprévu et la spontanéité, qui provoque, qui « ne cherche pas à être confortable » comme le souligne Gary Brunton.
Leader et compositeur assumé, Gary Brunton n’hésite pas à prendre des risques artistiques, à travers l’écriture et le choix du répertoire, se jouant des métriques, mêlant avec audace swing, groove rock, jazz valse, bossa nova, parfois à l’intérieur même d’un morceau, comme dans « Mingus’ House », qui vient évoquer par une succession de parties distinctes la vie musicale de Charles Mingus, dont l’oeuvre et l’histoire ont profondément touché Gary Brunton. Il écrira même un texte à son effigie.
L’album se situe donc au croisement de plusieurs esthétiques. D’abord, il y a la tradition : les trois musiciens ont croisé la route de ceux qui ont changé l’histoire du jazz. Gary Brunton a étudié avec Gary Peacock, Ray Brown, Dave Holland; un de ses premiers souvenirs à Paris, lorsqu’il avait vingt ans, reste ses concerts avec Michel Grailler, qui lui avait partagé la grille d’accords de « How Deep Is The Ocean » qu’il jouait avec Chet Baker. Bojan Z, lui, a travaillé avec Henri Texier, Michel Portal et Simon Goubert s’est produit avec Steve Grossman, René Urtregger, Alain Jean-Marie, Lee Konitz, Steve Potts, Biréli Lagrène. En découle de ces expériences un son jazz authentique, une énergie complice et espiègle.
Dans cet opus, le trio nous fait également part de son amour pour le rock et la pop anglosaxonne. Simon Goubert a joué longtemps avec Magma et tous trois ont grandi avec la musique des Beatles, des Stones et de David Bowie. Ce dernier, disparu il y a tout juste cinq ans, a toujours influencé Gary Brunton de par sa personnalité, sa grande ouverture musicale et ses constants changements de style. Il lui inspire deux reprises, dont l’immense « Ashes to Ashes », vif souvenir de l’enfance du contrebassiste, qu’il reprend ici en solo, comme une parenthèse, introduit par une improvisation en forme de prélude, « Once a Claret », qui met à l’honneur l’instrument – contrebasse du célèbre luthier XIXe « Jacquet » sur laquelle il joue depuis 1989 ! À l’inverse, il s’est confronté à de nouvelles cordes, en boyau filé acier, rappelant celles au son boisé des années 50-60. Il les doit à l’artisan berlinois Gerold Genssler, réputé pour avoir travaillé auprès de Steve Swallow, Charlie Haden et Larry Grenadier.
Une recherche de cohésion sonore, d’écoute et de réaction à trois, créativité et spontanéité restant les maîtres mots durant la création de cet opus. Une promesse tenue, amenant ce nouvel album au plus proche de la virtuosité.