Tout est né d’une rencontre entre un chef cuisinier marseillais nomade, Emmanuel Perrodin, et une violoncelliste imprévisible, Noémi Boutin. La fascination entre ces deux-là naît immédiatement et se nourrira plusieurs années durant avant qu’ils rassemblent sur un plateau leur savoir, et surtout, leur sensibilité.
Leur point de ralliement ? La bouillabaisse. L’intuition leur vient d’un texte que l’écrivain Raymond Dumay consacre à cette soupe populaire provençale. Il écrit : « L’homme a inventé la bouillabaisse mais le vent en dicte la recette du jour. Pour connaître le parfum qu’aura la soupe à midi il suffit de humer, c’est certain, à minuit l’odeur de la rose des vents ». Si cette phrase les touche c’est qu’elle les renvoie à une certaine façon d’appréhender le monde. Tous deux maîtrisent, c’est peu de le dire, la technique de leur art respectif. Et pourtant, ils en sont convaincus : la vie est ailleurs. Emmanuel n’a de cesse de répéter qu’un plat – et a fortiori, la bouillabaisse – est bien plus qu’une recette, bien plus que des ingrédients.
Comme la musique, en somme.
La bouillabaisse repose ainsi sur deux éléments indispensables : la rascasse, ce petit poisson de roche qui donne son goût corsé à la soupe ; et les vents qui auront dicté la pêche du jour. Tout ceci est donc à la fois absolument concret et éminemment poétique.
C’est autour de cette poétique – qui peut aussi être joueuse, espiègle et surréaliste – qu’ont été convoqués deux compositrices (Misato Mochizuki et Oxana Omelchuk), et deux compositeurs (Antoine Arnera et Aurélien Dumont) ainsi qu’un auteur, Dominique Quélen. Jeux de mots et de langues, musiques de table électroniques, chants marins mélancoliques et évocations venteuses y côtoient des dialogues de poissons, des envolées oniriques et des sensations aquatiques envoûtantes, à mesure que les odeurs se diffusent et que l’appétit s’ouvre… Noémi chante, joue du violoncelle, provoque Emmanuel. Ce dernier, dont la voix de basse semble être taillée pour le théâtre, lui répond et raconte la bouillabaisse tout en la cuisinant.
Hôtes et convives sont réunis sur le plateau. Ces derniers, attablés, sont accueillis par un thé iodé, se voient servir un vin blanc rafraîchissant et sont priés de confectionner l’aïoli qui viendra relever la dégustation. Noémi et Emmanuel sont juchés sur quelques praticables et se voient encadrés par un petit castelet qui vient délimiter un espace scénique garni de bois, de verre, de légumes, de poissons et d’épices. Le dressage et le service, idéalement, sont assurés par les étudiants d’un lycée hôtelier partenaire.